L'Arlésienne

L'Arlésienne

20.00 CHF

Enregistré en juin 1994 au Théâtre du Jorat

Texte d'Alphonse Daudet (1840 - 1897)
Musique de Georges Bizet (1838 - 1875)

Chœur Novantiqua de Sion
Orchestre du Festival Tibor Varga
Bernard Héritier, direction

 

«Il n'y a pas d'Arlésienne dans ma pièce : il n'y a que son ombre. On en parle, on en meurt : mais on ne la voit pas.»
Alphonse Daudet


L'Arlésienne est un fait divers - l'une de ses choses de la vie ou de la mort - qu'un artiste a transfiguré. Mais l'alchimie d'Alphonse Daudet n'a pas fonctionné d'un seul coup. La métamorphose s'est opérée en deux temps, deux mues prolongées, et elle a mis dix ans pour aboutir.

Le drame de l'Arlésienne est en effet le prolongement d'une des Lettres de mon Moulin, elle-même inspirée par un fait divers réel qui endeuilla la famille de Frédéric Mistral. En juillet 1862, au lendemain d'une fête locale, l'un des neveux du poète provençal se suicide. A 23 ans. Il s'est tué par désespoir de ne pouvoir épouser une jeune fille qu'il aimait qui qui n'en était pas à son premier amour, comme on disait alors. Quelques mois plus tard, Mistral raconte l'affaire à son ami Daudet lors d'une promenade sur les lieux mêmes du drame, au village de Maillane, sur la route de Saint-Rémy-de-Provence. Frappé par cette histoire, Daudet en grave les détails dans sa mémoire, plus vraisemblablement dans l'un de ses carnets qu'il tient quotidiennement. Quand il en tire, quatre ans plus tard, la troisième Lettre de mon Moulin, Mistral lui écrit : « Tu devais avoir pris des notes, car le fait est raconté comme si tu l'avais vu ! » Dès 1869, Daudet projette d'en faire une pièce.Mais le premier jet reste très proche de la Lettre. Une illumination va tout changer. Un soir, en Camargue, il entend deux femmes rechercher ave angoisse un enfant attardé dans les champs, « deux voix de femmes, l'une haute, l'autre grave, appelant, les mains sur les yeux, Frédéri ». « A ce moment-là, poursuit Daudet, toute ma pièce s'est dessinée dans mon esprit. »

Si le fait divers a fourni le scénario, c'est l'illumination camarguaise qui a donné au drame sa couleur, son esprit et le nom deson héros malheureux, Frédéri, qui s'appelait Jan dans la Lettre.

Cette Arlésienne, pleine d'ardeur et de lumière, Daudet l'écrit dans l'exaltation. « C'est un fait, dit sa femme : il sent qu'il tient un grand sujet ; il s'y donne tout entier. » Le doute n'en ronge pas moins l'auteur sur les réactions du public parisien. Son meilleur ami, Mistral lui-même, partage ces craintes : « Ces scènes de mœurs provençcales, cette importance des petites choses dans la vie primitive (...), Paris est-il bien en état de les sentir, de les comprendre, de les goûter ? Ne rira-t-il pas aux mots qui nous font pleurer, et ne s'ennuiera-t-il pas des gaietés qui nous font rire ? » Il ne croit pas si bien dire.

La première représentation de l'Arlésienne a lieu en automne 1872, dix ans après le drame de Maillane. C'est un désastre. Le public ne suit pas. Villemessant, directeur du Figaro, qui représentait alors, selon la formule de Mme. Daudet, la loi et l'autorité des journaux, quitte brusquement la salle au milieu du quatrième acte, en disant à hautre voix : « C'est assommant toutes ces vieilles femmes ! » Dès le lendemain, la critique est unanime dans le sarcasme. La pièce est assez rapidement retirée de l'affiche et, sous l'effet du choc, Alphonse Daudet songe un temps à renoncer à son métier d'écrivain.

Lié d'amitié à Daudet, Emile Zola assiste à l'échec et l'a plus tard raconté : « La pièce entière est emplie par le rôle héroïque de la mère, Rose est la maternité à l'état de passion, comme Frédéri est l'amour à l'état de rage et d'idée fixe. La lutte reste entre l'amour qui tue et la tendresse qui sauve. Cette action si grande et si humaine se développe dans un cadre poétique d'un charme pénétrant. Tout annonçait un immense succès. Eh bien L'Arlésienne a été une chute. La poésie de la pièce, les mots les plus charmants, les épisodes les plus touchants, n'ont pas tranversé la rampe. Le public parisien s'est ennuyé et le plus souvent n'a pas compris. Tout cela était trop nouveau. De plus, la pièce avait le tort immense d'avoir un accent, une langue à elle. Un fait me fera mieux comprendre : un des personnages ayant parlé des ortolans qui chantent, toute la salle, tous les parisiens ont ri, parce que les parisiens connaissent seulement les ortolans pour en avoir mangé, et ne s'imaginent pas que ces oiseaux-là, si gras et si bien cuits, peuvent chanter comme les autres. »

La pièce n'est reprise qu'en 1885, treize ans après son enterrement. Cette fois, c'est un immense succès et le début d'une carrière triomphale. A la veille de la Deuxième Guerre mondiale, elle avait déjà été jouée près de trois mille fois rien qu'en France. Après la centième reprise, Alphonse Daudet, enfin comblé, s'épanche un peu en se revoyant lui-même et Bizet, le soir de la première, foudroyés par les réactions du public : « Ils n'écoutent pas, me disait tout bas le pauvre grand artiste, avec un accent navré qui m'est resté au cœur. Ils n'écoutaient ni sa musique divine, ni mon drame... Maintenant, ils viennent, maintenant, ils écoutent parce que Bizet est mort, devenu classique, peut-être aussi parce que mon nom est plus connu qu'il y a quinze ans et que le public aime, par-dessous toute chose, la sécurité dans le plaisir.»
 

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